- GRÈCE ANTIQUE - La colonisation grecque
- GRÈCE ANTIQUE - La colonisation grecqueLes Grecs qui s’étaient établis dans la péninsule des Balkans au début du IIe millénaire commencèrent à émigrer dans le bassin de la Méditerranée à partir du VIIIe siècle avant J.-C. Ce mouvement de colonisation devait avoir des conséquences extrêmement importantes sur l’évolution des cultures qui se trouvèrent placées en contact avec les Grecs, et aussi sur l’évolution du monde grec lui-même.Il est d’usage de placer au milieu du VIIIe siècle les premières fondations de colonies grecques. Ce point de départ doit être expliqué: en effet, certains auteurs font remonter plus haut dans le temps la colonisation grecque en parlant de précolonisation. De fait, il est aujourd’hui prouvé qu’à l’époque mycénienne (XVe-XIIe s.) des Grecs empruntèrent les voies méditerranéennes comme l’atteste la présence d’objets mycéniens dans les nécropoles indigènes du bassin de la Méditerranée. Par ailleurs, l’effondrement des États mycéniens et ce que l’on a coutume d’appeler les invasions doriennes provoquèrent des mouvements d’émigration qui aboutirent à la formation des États grecs de la côte d’Asie Mineure. Mais, dans l’un et l’autre cas, il s’agissait de mouvements inorganisés, dont l’ampleur n’est pas facile à mesurer, mais qui n’apparaissent jamais comme l’application d’une politique délibérée, ni non plus comme le résultat de circonstances précises.Au contraire, le vaste mouvement de colonisation qui débute au milieu du VIIIe siècle et qui revêtira différentes formes semble bien avoir répondu à des motifs déterminés et surtout avoir été organisé par les cités colonisatrices.Sources anciennes et hypothèses modernesLes récits de fondation, souvent tardifs, font état de raisons diverses qui incitèrent un groupe d’hommes à émigrer pour fonder une cité nouvelle: ainsi, à la suite d’une sécheresse, les gens de Thêra firent partir un certain nombre d’entre eux, qui s’établirent sur la côte africaine et y bâtirent Cyrène ; des luttes intestines contraignirent les Parthéniens à quitter Sparte et à créer Tarente; parfois aussi, il s’agit de l’accomplissement d’un oracle, individuel ou collectif. La rareté des documents oblige en outre l’historien à élaborer des hypothèses, à partir d’un certain nombre de constatations: tout d’abord, les premières colonies fondées en Italie du Sud et en Sicile l’ont été à des dates très proches, ce qui exclut les raisons personnelles ou accidentelles et invite à rechercher des causes plus générales; ensuite, ces premières colonies se sont établies dans des régions fertiles et ont donné naissance à des cités qui, à l’époque classique, apparaissent surtout comme des centres agricoles, ce qui suggère l’idée de crise agraire, d’accroissement démographique. Les Anciens eux-mêmes tenaient la sténochôria , le manque de terre, pour une des raisons qui poussèrent les Grecs à fonder des colonies. Mais si cette sténochôria est liée incontestablement à l’accroissement démographique, elle peut aussi traduire des transformations internes dans la structure sociale et politique des cités grecques, qui commencent seulement à ce moment-là à émerger de la nuit.Par ailleurs, le mouvement de colonisation allait avoir des conséquences extrêmement importantes sur l’expansion du commerce en Méditerranée. Dès le milieu du VIIe siècle, de nouveaux motifs guident le choix des colons vers des régions nouvelles: il ne s’agit plus seulement de trouver des terres, mais aussi de contrôler les voies par lesquelles arrivent jusqu’en Grèce les matières premières que le développement de la production et des échanges rendent de plus en plus nécessaires. Parallèlement à la colonisation agraire s’étend une colonisation commerciale, dont les Grecs d’Asie (Milésiens et Phocéens) sont les initiateurs, d’une part vers l’extrême Occident (Marseille, fondée vers 600), d’autre part vers les régions orientales et les rives de la mer Noire (Olbia, Panticapée, Istros). Enfin, au Ve siècle, la domination militaire, politique et commerciale d’Athènes donne naissance à un dernier type de colonisation qu’on peut qualifier d’«impérialiste», car elle est inséparable de l’archè athénienne.Cependant, cette diversité de motifs n’a pas nécessairement entraîné la création de types différents d’établissements. Pour un Grec, en effet, la cité, la polis , apparaît comme le cadre de vie normal. Et si certains établissements commerciaux n’ont pas eu ce statut à l’origine, ils ont fini par l’acquérir dans un délai plus ou moins long, en même temps que s’étendait leur domination sur la chôra , sur le territoire, et sur les indigènes qui le peuplaient.Les divers types de colonisationLa colonisation agraireLes premiers colons étaient originaires d’Eubée et de Grèce continentale. Des Chalcidiens et des Érétriens fondèrent, avant le milieu du VIIIe siècle, un établissement dans l’île de Pithécusses, face au rivage campanien. Ils y demeurèrent quelques années avant de fonder sur le continent la cité de Cumes. D’autres Chalcidiens, dans le même temps, créaient Naxos sur la côte orientale de la Sicile. Vers 750, des Mégariens s’établissaient sur la même côte à Mégara Hyblaia et, vers 733, des Corinthiens fondaient Syracuse, qui allait devenir la plus puissante cité grecque d’Occident. Dans les années qui suivirent, les Chalcidiens se fixèrent à Zancle, puis, peu après, sur l’autre rive du détroit, à Rhégion. Enfin, ce sont des colons venus de Sparte qui s’installèrent au fond du golfe de Tarente où ils édifièrent la cité qui porte ce nom.Ces premières fondations furent suivies de nombreux autres établissements: Sybaris, Crotone, Locres en Italie du Sud, Gela, Catane, Leontinoi en Sicile. Établissements qui essaimèrent à leur tour: des habitants de Gela fondèrent Agrigente sur la côte méridionale de la Sicile, des gens de Sybaris s’établirent à Métaponte, tandis que Caulonia devait son existence à des Crotoniates. La chronologie précise de cette première colonisation est assez souvent malaisée, les données de l’archéologie ne recoupant pas toujours celles des sources littéraires. Il n’en reste pas moins que, du milieu du VIIIe siècle aux premières décennies du VIIe, un grand nombre d’établissements grecs furent ainsi créés dans le sud de l’Italie et sur la côte orientale de la Sicile. Ces établissements, dès l’origine, sont des cités, des poleis , qui, par là même, jouissent d’une complète autonomie par rapport à leur métropole. Certes, des liens subsistent sur l’importance desquels les historiens contemporains sont divisés; les liens religieux, incontestables, se traduisent par l’instauration dans la cité coloniale des cultes de la métropole auxquels s’ajoute le culte de l’oikistês (fondateur), qui constitue un lien supplémentaire avec la cité dont il est originaire. En revanche, les liens politiques apparaissent beaucoup plus minces. Si certaines institutions de la métropole se retrouvent parfois dans la colonie, le plus généralement celle-ci connaît un développement propre, indépendant de celui de la métropole, qui intervient fort peu dans le déroulement de l’histoire de la cité fille: ainsi les Chalcidiens n’aidèrent pas Cumes à lutter contre les Étrusques, ni les Spartiates Tarente à repousser les assauts des populations indigènes, et c’est au IVe siècle seulement que Syracuse fera appel à sa métropole, Corinthe, pour qu’elle lui envoie de nouveaux colons. Quant aux liens d’ordre économique, ils sont encore plus ténus: les travaux de G. Vallet et de F. Villard ont démontré que, s’il y a bien eu un commerce colonial, il ne s’agit pas d’un commerce de métropole à colonie, et l’étude des monnaies émises par les cités coloniales peut apporter à cet égard de précieux renseignements.La manière dont se faisait l’établissement de la colonie est encore mal connue, car les décrets de fondation (Naupacte, Bréa) sont d’époque relativement tardive (Ve s.) et ne peuvent être directement transposés dans un temps plus ancien. Les archéologues français et italiens tendent à éclairer ce difficile problème par des fouilles systématiques: ainsi G. Vallet et F. Villard ont démontré qu’à Mégara les colons avaient, dès la fondation, ménagé un espace libre où s’élèveront, dans la seconde moitié du VIIe siècle, des bâtiments publics, ce qui implique une double conclusion: d’une part, la colonisation n’était pas le fait du hasard et d’aventuriers, mais un phénomène organisé; d’autre part, dès le moment de la fondation, au milieu du VIIIe siècle, la cité colonisatrice avait déjà un embryon d’organisation politique. D’autres recherches ont permis, grâce à la photographie aérienne, de retrouver le découpage du territoire de la cité, ville et chora . Mais les éléments de datation ne sont pas encore assez précis pour conclure à un plan primitif systématique (cf. le cas de Métaponte).L’archéologie a permis également d’éclaircir la question des rapports avec la population autochtone: les sources littéraires, en effet, sont bien peu utilisables sur ce point, et parfois contredites par les données archéologiques. Le pays pour lequel ces problèmes sont le mieux connus est la Sicile, toutefois des recherches du même ordre sont actuellement entreprises dans la région de la mer Noire par des archéologues roumains et soviétiques. En Sicile, on a pu distinguer dans les rapports avec la population native et la pénétration dans l’arrière-pays trois types principaux: une pénétration pacifique s’accompagnant de rapports étroits avec les autochtones, qui serait le fait des cités chalcidiennes; une pénétration plus brutale et des rapports plus tendus avec les indigènes de la part des cités doriennes, Gela ou Syracuse; enfin une pénétration plus diffuse et plus superficielle vers l’ouest de l’île. Ces divers types de pénétration aboutirent à des types d’établissements très différents: établissements purement grecs, qui sont souvent au départ des postes militaires, établissements indigènes plus ou moins fortement hellénisés, établissements mixtes. Il faut, d’autre part, distinguer parmi les indigènes ceux qui vivaient à l’extérieur du territoire propre de la cité et ceux qui se trouvaient au contraire inclus dans ce territoire. Ces derniers, tels les Kyllyriens de Syracuse, se trouvaient placés dans une position de dépendance par rapport aux Grecs maîtres du sol, mais en même temps intégrés à la cité dont ils finissaient par acquérir la qualité de citoyens.La colonisation commercialeÀ partir du milieu du VIIe siècle, cependant, les motifs commerciaux, d’abord très diffus dans le développement de la colonisation, devinrent de plus en plus importants. Il ne s’agissait pas d’un système d’échanges, encore moins de mercantilisme. Les Grecs qui explorèrent avant de s’y fixer les rives de la Méditerranée occidentale ou du Pont-Euxin cherchaient essentiellement à se procurer des matières premières, céréales, métaux, bois de construction, qui manquaient en Grèce; mais, au fur et à mesure que ces importations devenaient plus régulières, en liaison avec l’établissement de zones de peuplement grec sur tout le pourtour de la Méditerranée et avec l’hellénisation plus ou moins effective des populations autochtones, des besoins se créaient, donnant naissance à de véritables routes commerciales, que certaines cités pouvaient être tentées de contrôler. Il en résulta la création d’établissements permanents, dont quelques-uns se présentent dès l’origine comme de véritables cités (Marseille), dont d’autres sont d’abord de simples comptoirs avant de s’enraciner dans l’arrière-pays et de devenir, à leur tour, des poleis . Géographiquement, la répartition de ces colonies «commerciales» est différente de celle des colonies proprement agricoles. On les trouve en extrême Occident, Gaule et Espagne, et à l’est de la Méditerranée, dans le Pont-Euxin, en Syrie, en Égypte. Quant aux cités colonisatrices, ce sont, à l’exception de Mégara, des villes d’Asie Mineure: Rhodes, Phocée, Milet.L’analyse de la colonisation phocéenne montre qu’elle débute à l’aube du VIe siècle par la fondation de Marseille, près de l’embouchure du Rhône. Puis d’autres comptoirs sont établis sur la côte ligure à l’est, sur la côte ibérique à l’ouest, en Corse, en Italie du Sud. Quel était l’objectif des Phocéens en se fixant ainsi sur les côtes de la Méditerranée occidentale? Des réponses diverses ont été données, mais il paraît bien que le souci de se procurer des métaux, et singulièrement l’étain, a dicté le choix des marins venus d’Asie Mineure. Cela impliquait l’établissement de relations pacifiques avec la population autochtone, qui ne pouvaient que favoriser la pénétration des influences helléniques. La découverte du trésor de Vix (Côte-d’Or), qui comportait, entre autres, des coupes attiques, est significative à cet égard. Il convient néanmoins de préciser que, si l’influence grecque s’étend sur une aire assez vaste, elle demeure superficielle et n’entame pas vraiment la cohésion ou l’originalité du monde indigène. Ce n’est qu’à une époque relativement tardive (à partir du IVe siècle), que, en liaison avec les transformations qui affectent l’ensemble du bassin méditerranéen, ces comptoirs, devenus des cités, s’enracinent davantage dans le territoire, dont ils modifient le peuplement et la structure.L’impérialisme athénienÀ partir du Ve siècle, une cité domine politiquement et commercialement le monde méditerranéen: Athènes. La colonisation athénienne clôt d’une façon, pourrait-on dire, systématique l’histoire de la colonisation grecque. Il ne s’agit pas ici des clérouquies, établissements militaires sur des territoires grecs, qui ne laissent pas de poser de nombreux problèmes. Les colonies proprement dites ont été fondées sur la côte thrace d’une part, en Italie du Sud d’autre part, si l’on tient Thourioi pour une fondation essentiellement athénienne. Préoccupations sociales et politiques ou militaires influèrent sur le choix des régions colonisées: le décret de fondation de la colonie de Bréa est, à cet égard, significatif. Il s’agit à la fois d’attribuer des lots de terre à des gens qui en sont dépourvus à Athènes et de contrôler des régions essentielles d’un point de vue stratégique autant que commercial. Quant à la colonisation elle-même, elle est strictement organisée par la cité, qui se préoccupe de maintenir des liens étroits avec sa colonie. L’oikistês Démoclidès est assisté de dix geonomoi et de dix apoikistai pour procéder à l’établissement des colons et au partage du sol. Sans doute donne-t-il à la cité des institutions, calquées sur celles de la métropole. Des dispositions sont prises concernant la défense de la cité, la contribution des colons aux grandes fêtes religieuses de la métropole, etc. Des auteurs vont jusqu’à penser que le territoire des apoikiai athéniennes demeurait possession de la cité, et même que les colons conservaient la citoyenneté athénienne. On peut en douter dans la mesure où ces colonies étaient des poleis ou tendaient à le devenir.La précision de ces dispositions annonce la colonisation de l’époque hellénistique, dont certains écrivains athéniens du IVe siècle avaient entrevu l’ampleur. Mais ce qu’ils n’avaient pu concevoir, c’est que cette colonisation ne serait plus le fait des cités grecques, désormais incapables de toute vaste entreprise, mais des souverains que la conquête d’Alexandre avait installés en Orient.
Encyclopédie Universelle. 2012.